La vis tellurique
Chancourtois a nommé sa classification vis tellurique : « D’après son mode de réalisation et son origine, je lui donne le nom significatif de vis tellurique », écrit-il dans le rapport à l’Académie des sciences du 7 avril 1862. Un peu plus tard, le 5 mai de la même année, tout en précisant que le nom lui a été suggéré surtout par la place centrale de l’élément tellure sur la vis, il écrit que « l’épithète tellurique (…) rappelle très heureusement l’origine géognostique, puisque tellus signifie terre dans le sens le plus positif, le plus familier, dans le sens de terre nourricière ». Ce propos montre bien que la géologie était le point de départ des réflexions de Chancourtois. Il voyait la forme hélicoïdale comme étant idéale pour représenter une périodicité : ainsi, il a utilisé des méthodes comparables pour rechercher une logique mathématique dans les relations entre les différentes formations géologiques de la Terre.
Priorité aux nombres
Chancourtois avait aussi une vision mathématique de la matière,
selon laquelle « les propriétés des corps sont les propriétés des nombres » (cf. son ouvrage de 1863, La Vis tellurique).
Cette vision pourrait expliquer la priorité qu’il donnait aux nombres plutôt qu’aux appartenances à une famille chimique.
Ainsi Chancourtois n’a pas correctement placé l’iode en dessous du chlore et du fluor comme l’ont fait ses successeurs : le piège, c’est que, curieusement, l’iode (aujourd’hui élément 53) est plus léger que le tellure (aujourd’hui élément 52). De plus, cette vision mathématique le conduisait à tenter de prédire des propriétés chimiques à partir d’une factorisation des masses des éléments, supposées entières. Dans cet esprit, il aurait aimé rapprocher la notion d’élément de celle de nombre premier.
Une classification imparfaite
L’approche étonnante de Chancourtois et les nombreuses imperfections dans sa classification pourraient expliquer en partie le fait que la vis tellurique n’ait pas eu autant de reconnaissance que le tableau de Mendeleïev. Pourtant, cette première classification périodique a ses mérites. L’importance du numéro atomique aujourd’hui confirme en quelque sorte l’intuition de Chancourtois qui voyait un rapport étroit entre les nombres et la nature des corps. De même, son idée que ces nombres pouvaient servir à prédire et à expliquer les spectres de raies des éléments avait un côté prophétique : c’est au fond ce qu’apportera en 1913 la loi de Moseley reliant les fréquences (ν) des raies au numéro atomique (Z) de l’élément. Toutefois, l’intérêt de cette vis tellurique n’a pas été véritablement perçu à l’époque, d’autant plus que Chancourtois ne faisait pas partie du cercle des chimistes.
Les triades entrent en scène
En 1817, le chimiste allemand Döbereiner identifie une première « triade » :
trois éléments alcalinoterreux (calcium, strontium et baryum)
dont la masse de l’élément du milieu est égale à la moyenne des masses des deux autres.
Ce concept prend corps avec trois autres triades publiées en 1829, alignant des éléments qui sont superposés dans le tableau périodique actuel. C’est la première découverte de rapports quantitatifs entre les masses d’éléments d’une même famille, et donc en quelque sorte un premier pas vers le tableau périodique actuel, où ces rapports se comprennent directement. En 1843, Gmelin combine pour la première fois des triades (c’est d’ailleurs lui qui a trouvé ce nom) dans un tableau comportant 55 éléments. Bien qu’on ne puisse pas encore considérer cette classification comme étant périodique, elle regroupait déjà correctement les éléments des futures colonnes 1, 2, 15, 16 et 17 du tableau actuel, du moins pour ses trois premières lignes.
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