En 1623, Galilée
dans Il Saggiatore écrit : « On ne peut
comprendre [le livre de l’Univers] si l’on ne s’applique
d’abord à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels
il est écrit. Il est écrit dans la langue mathématique (…)». Il fonde
ce faisant la physique moderne comme scindée de la philosophie, et relevant
entièrement de la rationalité mathématique.
La suite a montré à quel point son intuition, qui était aussi et reste
toujours un acte de foi, était juste : jusqu’à présent, les physiciens ont
travaillé avec succès à dévoiler les lois mathématiques régissant les phénomènes,
en présupposant à chaque fois leur existence. Les millénaires écoulés entre la
naissance des mathématiques et leur utilisation en physique montrent au passage
que ce rapprochement entre les phénomènes naturels et les lois mathématiques de
notre rationalité humaine était loin d’être évident.
La suite de l’histoire fut bien sûr à double sens. On pourrait ainsi
décrire en grand détail comment un grand nombre de théories et d’outils
mathématiques, de la transformée de Fourier à la géométrie symplectique, furent
inspirés par la physique. Mais en notre époque où celle-ci est souvent
présentée débarrassée de son appareil théorique en vue de la rendre plus
accessible, il est encore plus utile de rappeler ici à quel point la physique
est depuis toujours articulée étroitement à la science mathématique, et ne peut
se passer d’elle.
Un des exemples les plus étonnants de cette relation intime est sans
conteste fourni par les nombres complexes. Au XVIe siècle, les
mathématiciens ont éprouvé le besoin d’adjoindre aux nombres ordinaires un
nombre supplémentaire, baptisé i (pour
« imaginaire »), dont la propriété principale est d’avoir un carré
négatif : i² = -1. Les nombres augmentés de ce nombre
imaginaire s’appellent les complexes, et se mettent tous sous la forme a
+ b·i, comme 2 + 3i.
Rien de plus abstrait donc que ce nombre fictif, vu que les nombres
ordinaires ont tous un carré positif (2² = (-2) ² = 4) ! Et pourtant, les
nombres complexes ont naturellement trouvé leur utilité en physique. Au XIXe siècle
ils ne sont d’abord utilisés que comme outil car ils simplifient les calculs
des problèmes ondulatoires. Un outil commode certes, mais dont on pourrait
parfaitement se dispenser.
L’abstraction confirmée par le réel
En revanche, quand en 1929 Erwin Schrödinger réussit à synthétiser
dans l’équation qui porte son nom l’ensemble des règles quantiques – que trente
ans de recherches expérimentales ininterrompues avaient peu à peu mises au jour
de façon disparate et ad hoc –, une véritable surprise attendait la
communauté des physiciens.
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